Spot Y – Un voyage dans l’inconnu
Texte / Stephan Götzelmann, de l’anglais par Ismael Tlili
A l’instar de Spot X que l’on utilise pour décrire un lieu dont on apprend l’existence par le bouche-à-oreille, Spot Y est une région, un archipel ou une baie où l’on se rend tant bien que mal. Il décrit une aventure vers l’inconnu et implique le risque de rentrer bredouille. Je pense que nous devrions tous prendre ce chemin une fois dans notre vie, car celui qui ose, jetant ainsi un regard vers l’extérieur, fait l’expérience la plus merveilleuse qu’il soit. Voici mon itinéraire.
J’ai imaginé cette escapade il y a environ cinq ans de cela. Muni de maigres informations, de prévisions maritimes incertaines, de coordonnées géographiques approximatives et d’une image satellite peu explicite, je décide de tenter l’expérience. Le temps pour moi de mettre un peu d’argent de côté, et mon périple prend forme en février 2012. L’odyssée débute avec un vol au départ de Bali. Deux heures plus tard, je me retrouve plongé dans un tout nouvel environnement. Bien qu’excité, me retrouver face à cet aéroport perdu déclenche en moi quelque appréhension. Personne ne parle anglais et l’on dépose sur moi des regards perplexes. D’un seul coup, tout me paraît abrupt. Pendant un bref instant, je me remets sérieusement en question et hésite à retourner sur mes pas vers des eaux plus familières. Profondes respirations, mobilisation de mes fragiles notions d’Indonésien et je me retrouve en voiture, direction le port. Mon aventure peut désormais commencer. S’en suit une heure de bateau au milieu de baies, de magnifiques plages et sommets volcaniques pour, au crépuscule, atteindre une ville portuaire de taille moyenne. Mon premier hôtel est atroce : le prix exorbitant, un matelas suintant de transpiration et des rats de la taille de chats me souhaitent la bienvenue. Mais après ce que je viens de traverser, je suis trop exténué pour refuser. Il n’y a pas de moustiquaire, alors j’essaie de rêver de belles choses dans une chaleur tropicale en sweatshirt, pantalons et chaussettes. Selon l’adage, «le voyage est la destination», mais malgré tout j’éviterais volontiers de telles étapes.Le lendemain matin débute avec une longue attente. Le bateau souhaite être rempli pour lever l’ancre. Les heures défilent avant que l’on trouve les trente passagers requis. A l’approche du repas, et n’ayant pas trouvé de quoi combler son bateau, le capitaine devient peu à peu irritable. Spontanément il réduit de moitié sa liste d’attente et démarre. Les heures défilent et j’entrevois finalement l’île de mes rêves, mais mon objectif n’est pas encore atteint. Je suis au sud et ma destination se trouve à une centaine de kilomètres au nord. Par chance je trouve quelqu’un pour me pousser en voiture. Cette étape est conséquente. Après peu de temps, la route se transforme en chemin de traverse, le béton laissant place à la terre battue. Souvent nous devons descendre pour gravir les pentes raides se dressant devant nous. Elles requièrent de notre part de multiples tentatives. Puis, la première panne surgit. Pneu crevé. Attente. J’utilise notre accroc pour visiter les plages alentour. Bien que la houle ne déroule pas toute sa puissance, elle dessine d’honnêtes vagues à hauteur d’épaule. Après deux jours de voyage, un rayon d’espoir voit le jour. Je ne peux toujours pas explorer le nord, mais je surfe. Je m’impatiente, mon but m’attend. Cet obstacle dépassé, le suivant ne se fait pas attendre. De lourdes pluies transforment un tronçon de ‘route’ en lac artificiel où une colonne de gens attendent déjà patiemment. Nous n’avons d’autre choix que de nous joindre à eux jusqu’à ce que l’eau s’écoule. Combien de temps cela prendra ? Personne ne le sait. A la tombée de la nuit, le groupe se décide à bouger. Nous embarquons nos biens les plus précieux sur nos épaules et traversons, l’eau arrive à la taille – romantique et flippant à la fois – une voiture nous attend de l’autre côté et nous emmène tous au village. Fort heureusement, notre chauffeur y a de la famille et celle-ci propose de m’héberger pour la nuit.Le jour suivant, je m’organise afin que deux pêcheurs m’emmènent sur leur canoë. Il n’y a plus de route, seulement une jungle épaisse, l’océan et espérons-le des vagues. Comme nous sommes dimanche, je dois attendre la fin de l’office pour lever les voiles. A nouveau l’attente se fait sentir, nous ne partons qu’en début d’après-midi. Le temps passe, le soleil décline à l’horizon et nous sommes toujours loin de notre cible. La mer se gonfle et continuer notre périple dans de telles conditions devient impensable. Nous devons amarrer, mais où ? La côte est recouverte d’un récif aiguisé sur lequel de puissantes vagues viennent s’écraser. C’est comme si une barrière insurmontable se dressait devant nous annonçant notre perte. L’atmosphère se tend et notre situation semble sans issue. Soudainement, l’un des pêcheurs découvre une brèche et s’y enfonce, une vingtaine de mètres de largeur et des masses d’eau rugissante de chaque côté – difficilement visible depuis la mer. Une minuscule rivière serpente jusqu’à l’océan. De chaque côté, des parois se dressent jusqu’au ciel. A notre grand bonheur apparaît finalement un village de conte de fées. De petites cabanes se nichent parmi la végétation, comme en Terre du Milieu. Près de l’eau, des enfants jouent nus. Ils escaladent les rochers puis se jettent à la mer. Quand ceux-ci remarquent notre présence, tout devient silencieux. Ils se taisent et quelques adultes viennent voir ce qui se passe. En pénétrant la baie, on nous observe. Une fois à terre, la tension redescend et un petit groupe se forme autour de nous. Ils veulent savoir d’où l’on vient et ce que l’on cherche.
Après quelques pourparlers, nous nous dirigeons vers le chef pour demander l’autorisation de passer la nuit. Cet homme bien nourri et relax nous autorise à rester. Ce qui suit me fait chaud au coeur à chaque fois que j’y pense. Comme la nuit précédente, des étrangers m’offrent leur lit, habituellement trois personnes y dorment, et eux la passent à même le sol. De plus ils m’apportent à boire et à manger, le tout gratuitement ! L’argent que je leur tends est poliment décliné.
Imaginez : ces personnes n’ont presque rien, ils savent d’où vous venez et ils refusent quand même toute contrepartie. Voici la définition sans conteste de l’hospitalité.
Au matin, nous les remercions grandement pour leur accueil et poursuivons notre chemin. Le jour resplendit et l’eau dévoile ses profondeurs, le tout bordé par une jungle foisonnante. Nous avançons dans une région qui paraît sauvage. Finalement, la baie tant espérée fait son apparition. Mon rêve depuis cinq ans se dresse là, devant moi : mon Spot Y. Une large baie entourée de montagnes verdoyantes. La plage passe, au fil des relents, du blanc au noir et le corail brille. Un nombre incalculable de vagues à couper le souffle se dressent dans notre dos. Nous rejoignons le village, une femme enceinte et hilare m’entraîne jusqu’à sa maison. Elle a reconnu d’instinct la raison de ma venue. Je ne suis pas le premier à avoir atterri ici. La famille est agréable, je décide donc d’y rester.Peu après mon arrivée, je rencontre d’autres surfeurs. Ils existent. Des aventuriers prêts à vivre des expériences laborieuses tout comme moi. Ce sont des âmes amusantes venant de France, d’Australie, d’Angleterre et d’Irlande. Je suis l’un d’entre eux. Ensemble, nous bravons la mer semaine après semaine. Nous vivions un quotidien simple mais bon. Ma famille d’accueil est la plus agréable que l’on puisse imaginer. La grand-mère me rappelle la mienne, elle ne me laisse jamais aller surfer sans s’assurer que j’ai bien mangé. Elle a pour habitude de dire : «Dulu makan», la nourriture avant tout. Il y a aussi le père, jeune, sincère et dévoué envers sa famille. Il se décarcasse pour qu’ils aient toujours de quoi se mettre sous la dent et puis deux garnements qui n’arrêtent jamais de brailler et qui me collent aux talons. Bien qu’avancée dans sa grossesse, rien n’empêche la mère de gérer sa maison. Un jour en revenant du surf, le père m’annonce qu’elle a de graves lancées et qu’elle ne se sent pas bien. Il se fait du souci. Cet endroit est si éloigné qu’il n’y a qu’un bateau par semaine qui y passe pour récupérer la chair de coco pour en faire de l’huile. Quant à l’hôpital le plus proche, il se trouve à une journée de distance. Accoucher dans de telles conditions n’est pas une mince affaire. Tout le jour, la moitié du village fait le déplacement pour prier. C’est tout ce qu’ils peuvent faire. Je n’entends de la pièce d’à côté que des hurlements de douleur et des prières. Les cris et les incantations durent toute la nuit jusqu’à ce qu’à quatre heures du matin, ils soient remplacés par les pleurs d’un bébé. Tous sont soulagés, mais le plus soulagé de tous est le mari. Pendant des jours, il n’a de cesse d’exprimer sa reconnaissance.
Le temps s’envole et ma période sur l’île touche à sa fin. Nous sommes attristés par cette séparation et je promets de revenir. Promesse que je ne suis pas sûr de pouvoir tenir. Pendant mon retour, les différentes étapes défilent dans mon esprit. Je suis comblé par cette expérience et si reconnaissant. Un voyage que l’on ne peut pas organiser ou trouver sur Lonely Planet. Un voyage qui m’a mis face à des situations où je dépendais totalement des autres. La sensation d’être accepté par de parfaits inconnus et recevoir leur aide donne tellement d’espoir en l’Homme. Une leçon qu’on ne reçoit pas souvent. Mon unique conseil : partez. N’importe qui peut réserver un tour en bateau, ou un camp, mais seuls les braves se mettent en quête, immergés dans la nouveauté et l’inconnu. En empruntant de nouveaux sentiers, vous vivrez un voyage qui sera un guide pour le reste de vos vies et amasserez des souvenirs uniques. Partez à la découverte de votre Spot Y.
Pour 7sky.life – Für 7sky.life – Stephan Götzelmann