Par Nicolas Hulot
La sentence du philosophe italien Gramsci semble cousue main pour la période que nous traversons « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».
Ai-je la vue troublée ? Est-ce le changement climatique qui perturbe ma perception du réel ? Je vois s’agglutiner et s’exprimer au quotidien la somme de toutes les haines, de tous les mépris, l’addition de tous les rejets ; sans doute l’expression sordide de toutes les peurs : envers le politique, le flic, le nanti, le pauvre, le journaliste, la féministe, l’Europe, l’Etat, et plus tristement habituel encore, la haine du juif, du musulman, de l’homosexuel, de l’étranger, de l’autre… Pour beaucoup, le présent pèse, l’avenir effraie et les monstres intérieurs se libèrent. Mais au-delà de l’expression légitime des souffrances et des injustices, que nous devons affronter avec lucidité, rien ne permet de trouver la moindre justification à la haine, instituée en mode de pensée.
Même si j’ai toujours douté que nous soyons civilisés en profondeur, j’ai toujours espéré que ce siècle tire les dividendes de la paix. Jamais je n’aurais imaginé que, dans ce carrefour de crises, notre pire ennemi serait un ennemi intérieur. Je vois avec effroi notre société se fragmenter, se replier, se recroqueviller.
On dit que l’on entend le fracas des arbres qui tombent et pas le murmure de la forêt qui pousse. Alors, cette bile nauséabonde est-elle une goutte d’eau qui dissimule un océan de sagesse ? Ou, au contraire, est-elle l’émergence et l’expression de quelque chose de plus noir, de plus profond ? Je veux continuer à croire qu’il y a une société invisible, silencieuse, qui, à un moment, se dressera massivement contre cette bête immonde. Certains signes m’en donnent l’espoir : une jeunesse qui se mobilise, des initiatives collectives, des marches…
Sortons d’une sorte de tétanie qui donne à la haine un espace sans limite ! Chacun mijote ses petits préjugés comme si l’on avait l’éternité devant nous. Or, c’est le paradoxe tragique de l’instant, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la crise écologique nous place face à un destin commun et nous oblige à une approche universelle.
Là où les passerelles sont nécessaires, se dressent des murs, des barrières physiques ou virtuelles, notamment celles des idées reçues. Et comme dit René Char « partout l’essentiel est menacé par le superflu » et pire encore le faux dissimule le réel.
Nous devons agir dès maintenant de manière coordonnée avec une vision partagée ou nous allons tous sombrer comme des crétins ! L’heure est à l’écoute, à l’empathie, au discernement, à la coopération, à l’union, à l’humilité, si l’on veut une issue favorable.
Au risque d’être ridicule dans l’atmosphère actuelle, osons la confiance et la solidarité ! Allons chercher chez l’autre ce qu’il a de meilleur, ne voyons pas le mal partout, demandons-nous ce que l’on peut apporter pour construire le futur et non le détruire ! Passons de la prétention de tout savoir à la compréhension, à l’acceptation de la complexité. Basculons de la dénonciation stérile à l’élaboration féconde ! Nous avons déjà les outils technologiques, économiques, intellectuels, humains pour faire collectivement un saut qualitatif. Seule fait défaut une volonté commune. La vraie révolution que certains appellent de leurs vœux, c’est de mieux s’écouter pour se comprendre, de s’inspirer, de polir nos certitudes aux convictions des autres. Se battre, se déchirer, s’injurier, s’entretuer est un grand classique de l’histoire soyons moderne, faisons une révolution pacifique !
Un monde meilleur pour toutes et tous est encore possible mais à la seule condition de se libérer de la haine. Gardons à l’esprit que la solidarité ne peut être que notre seule boussole.