Le surf est synonyme de voyage. Découvrir, vivre des émotions inédites ou encore s’étonner, voilà certains des moteurs de ces escapades. On peut aussi vouloir confronter ses phantasmes à la réalité, tenter de comprendre- un peu- un monde qui évolue sans cesse à une vitesse déroutante. Il semble alors que le meilleur moyen- si ce n’est le seul- est d’aller à la rencontre de l’autre, de celui qui vit, influence et parfois subit l’endroit qui pour nous, simple voyageur, n’est souvent qu’une étape.
Un « fast-boat » vient d’accoster au ponton de Senggigi sur l’île de Lombok en Indonésie. Un énorme soleil rend l’atmosphère lourde et épaisse tandis que, des grappes de touristes débarquent d’un pied incertain. Le visage moite, le bord des yeux plissés par les vents marins, ils traînent leur valise à roulette grinçante comme le fardeau de leur voyage. Ils doivent traverser une petite ruelle au parterre de graviers encombrée d’échoppes et de nombreuses propositions marchandes avant d’arriver à leur taxi. Un peu plus loin, un jeune homme posté devant l’entrée d’un homestay interpelle les passants en leur proposant des flyers : « happy hour tonight ! », dit-il énergiquement à qui veut bien l’entendre. C’est Jacka. Des cheveux longs qui s’échappent d’un bandeau de tissu blanc, une encre tatouée sur le pectoral gauche, des lunettes de soleil aux verres violets et un boardshort porté au plus bas, il joue de son look de surfeur et de son charme pour se faire remarquer des touristes. Aujourd’hui, il travail pour le Bornéo homestay, parfois, il donne des cours de surf et, s’il n’y a pas de travail- et que le swell grossit- il part surfer la vague tubulaire du reef avec ses amis.
À Senggigi, le surf est une affaire locale car il est rare que les surfeurs étrangers s’y attardent. Avec des moyens limités, les enfants apprennent la plupart du temps à surfer seul dans des conditions improvisées : « J’ai commencé à surfer avec une planche en bois », me raconte Jacka, un sourire au coin de la bouche. Maintenant, il se débrouille pour trouver des surfboards bons marchés et, parfois, un de son ami Australien lui en rapporte une. Il a débuté le surf pour faire comme ses amis et, me confit-il, « parce qu’il n’y a pas grand chose à faire à Senggigi alors, essayer de prendre des vagues, ça passait le temps». Aujourd’hui, plus qu’un passe temps, le surf est devenu une passion pour lui: « les sensations que tu as quand tu surfes sont juste incroyables, j’en ferai jusqu’à ce que je sois vieux et puis…quand tu vas dans l’eau, t’oublies tous tes ennuis».
Le village de Senggigi, avec le développement du tourisme, s’est peu à peu transformé en une petite station balnéaire offrant aux jeunes de la région des opportunités d’emplois. La plupart se disent «freelance», c’est-à-dire qu’ils sont embauchés pour le compte de différents business selon la demande. Souvent rémunérés à l’heure, ils n’en récolte que de petites sommes mais suffisamment pour surfer et aider leur famille qui vivent avec très peu d’argent. Celle de Jacka est installée dans le village depuis de nombreuses années. Ses parents n’ont pas toujours eu les moyens de nourrir tous ses membres, alors, rapidement, il a du travailler. Du haut de ses vingt ans il redistribue une grande partie de son salaire à sa famille.
Le soleil acide s’est déjà un peu laissé tomber dans le ciel sans nuages. Jacka propose de m’emmener dans l’un de ses repères, loin de l’agitation de Senggigi.
Nous traversons la station en scouter. Le lieu est à l’image de l’île et du pays : il est fait de contrastes. Contrastes entre hôtels de luxe et modestes maisons en taule, entre propreté des résidences touristiques et accumulation de déchets dans les rivières, entre moderne et ancien. Nous empruntons ensuite une belle route décalquée sur le relief vallonné de la côte. Enfin, nous arrivons dans une petite crique à l’eau turquoise abritant une plage de sable jaune où des enfants nus glissent sur de petites vagues en bodyboard et, tentent de se lever dans l’écume. Une modeste cabane en bambou y est comme déposée sur le sable. C’est la nouvelle école de surf de ses amis.
Ogik, Patock et Mahdy ont les yeux rivés sur un smartphone, ils regardent une vidéo de surf sur youtube. Ogik lève sa tête chevelue en me lance : « hey bro ! Welcome ! », avec un sourire d’une sincérité rare.
Les trois amis ont économisés plusieurs années pour concrétiser leur rêve, ils ont aussi su rationaliser leur investissement. Ils ne paient pas de location car le chef du village a estimé que leur projet devait être soutenu. Les planches, elle, proviennent de Bali où elles ont été négociées à bon prix. Ainsi, les compères ont pariés sur le développement du surf dans la région : « de plus en plus de monde s’intéresse au surf, c’est à la mode, c’est une opportunité pour nous ! » me dit Patock avec une voix pleine d’espoir. Mais ce lieu est aussi fait pour partager et se retrouver avec des amis : « il y a toujours quelqu’un ! On aime quand les touristes restent le soir, on boit de l’alcool de riz, on joue de la guitare et on regarde le couché de soleil », me confit Patock.
Un vent de terre s’est levé et nous fait parvenir par intervalles irréguliers une voix métallique qui appelle à la prière. Les quatre surfeurs ne s’y rendront pas, « je ne suis pas un bon musulman, j’aime faire la fête, les filles et tout ça… Je vais parfois à la mosquée le vendredi mais c’est tout. Mes parents eux oui… Ils prient souvent », dit Ogik avant de boire une gorgée d’alcool de riz.
Le soleil s’écrase lentement derrière l’île des dieux en aspirant la chaleur du jour et en laissant derrière lui des couleurs chaudes alors que, les quatre surfeurs font raisonner leurs instruments dans la crique devenue sombre. Il ne reste à présent que les dernières lueurs du jour qui rappellent que le soleil d’aujourd’hui n’est plus qu’un souvenir. Nous rentrons au village.
Je garde en mémoire ces moments privilégiés dans cet endroit où, semble-t-il, le tourisme et l’argent n’ont pas encore totalement contrariés l’âme de ses habitants. Dans cette région, les surfeurs sont le miroir d’une certaine globalisation culturelle inévitable. Ils se sont érigés en une communauté qui s’est approprié les codes de la culture surf. Bien qu’influencés par l’occident, ils cultivent une hospitalité, une convivialité et une bonne humeur propre à l’île et, surtout, ils ont leurs projets, leurs rêves dans leur région. En tant que voyageur –surfeur ou non- de passage, il semble important d’aller à la rencontre de ces jeunes et de soutenir leurs rêves en essayant de ne pas donner de leçons.