Texte: Luca di Stefano / La Tribune de Genève.
Rencontre. Le retraité soigne gratuitement au Point d’eau. Il lance un appel afin d’assurer la survie du cabinet.
Signe de l’équilibre précaire des lieux, un tableau d’ophtalmologue accroché au mur est devenu inutile. «L’ophtalmologue bénévole a dû partir, on ne peut plus traiter les yeux», regrette le médecin-dentiste. Ainsi, depuis qu’un confrère a annoncé qu’il quittait l’aventure sociale, la survie du cabinet le préoccupe. «Il s’agit d’être disponible trois heures toutes les deux ou trois semaines», lance Edouard Coquoz
Un cabinet à trouver
Le message est transmis. On mesure son importance en écoutant le septuagénaire parler des «nécessiteux» qui prennent place sur «l’unit» — le fauteuil dentaire dans le jargon — de la rue Chandieu. Un jour par semaine, trois patients sont traités en urgence, cinq sont reçus sur rendez-vous. Des sans-abri pour la plupart, mais pas seulement. «Le bouche-à-oreille a élargi les populations que nous recevons, explique-t-il. Ils viennent, ils ont mal, on les soigne gratuitement. Demain, si mille personnes nécessiteuses arrivent, on les soignera.» Dans ce cabinet unique à Genève, il faut aller à l’essentiel. Faute de moyens, on ne pose ni couronnes ni prothèses. «C’est ma grande tristesse, regrette Edouard Coquoz. Certains patients en ont pourtant vraiment besoin.»
Si l’homme affiche sa détermination pour sauver la petite structure, il a été contraint de la fermer. En 2009, le cabinet montre de gros signes de fatigue après treize ans de service intense. «On ne pouvait plus travailler dans un lieu si vétuste», se souvient le dentiste. Mais Noël Constant, magicien du social, fondateur de l’association Carrefour-Rue et du Point d’eau qui en dépend, est de ceux qui s’accrochent. En 2013, il convainc Edouard Coquoz de remettre en marche le cabinet. Pour cela, il faut trouver un nouveau fauteuil et le monter. Un appel est lancé, un généreux confrère à la retraite y répond et cède son matériel. Les soins reprennent l’année suivante.
Au Pérou avec l’abbé Pierre
Ainsi, Edouard Coquoz est passé de son cabinet de la rue des Vollandes, où il a effectué l’essentiel de sa carrière, à quelques mètres carrés dans des préfabriqués. Retraité, il promet qu’il continuera de soigner tant que sa santé le lui permettra. «Je n’ai pas le souvenir d’un seul conflit durant ces années de bénévolat. Il y a une grande reconnaissance des patients, c’est gratifiant.» Au fil du récit de son parcours, la vocation sociale prend le pas sur le médical. Fils d’un chirurgien établi à Vevey, il aime surtout raconter comment sa mère, Péruvienne d’origine, est parvenue un jour à convaincre l’abbé Pierre de créer une communauté d’Emmaüs dans son pays natal. «Nous l’avons accompagné au Pérou en 1959! Notre famille pratiquait un christianisme ouvert, avec une fibre sociale très prononcée», raconte celui dont les rêves de jeunesse semblaient le destiner à une carrière de journaliste ou de photographe.
La nuit tombe sur le Point d’eau. Comme chaque jour, près de cent personnes ont pu se doucher et laver leurs habits. Dans la structure de fortune du docteur Coquoz, certains ont reçu des soins dentaires inespérés. Entre les lave-linge et les douches, combien de temps vivra encore ce cabinet? «Je suis convaincu que des confrères et consœurs qui veulent aider existent.»